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« Cette vieille chanson qui brûle », d’Alexandre Lenot, Denoël, 240 p., 20 €, numérique 15 €.
Le retour d’un fils au bercail… C’est une vieille antienne que Cette vieille chanson qui brûle, deuxième roman d’Alexandre Lenot, après Ecorces vives (Actes Sud, 2018). Elle se lit pourtant comme à l’aube des mots. Noé marche avec ses colères, qui pèsent plus lourd que le monde. La route le ramène à son père. A son frère qui n’est plus. Serpente vers leurs retrouvailles, sans que l’on sache si le livre consentira ou non à confronter le patriarche à celui de ses rejetons qui est encore vivant.
C’est dans ce suspens que chaque phrase cascade à l’échelle du chapitre, dégringolant d’une vision à l’autre, mimant le rythme syncopé de la marche. Parfois, elle se poursuit malgré tout, trébuche de l’autre côté du point – l’urgence est telle, alors, que nulle clausule ne saurait en interrompre le souffle déchiré. Après ces années de silence sous lequel le père a enseveli Noé et son jumeau Jérémie, reprendre la route est aussi pour lui, enfin, écrire sa propre histoire.
Noé est danseur. Dans ses mouvements comme dans sa vie, il ne parvient pas encore à entrer en relation avec les autres. C’est donc avec ses phrases versets, rejets et contre-rejets, régime somptueux de prose et de poésie, qu’il avance. Cette éblouissante chanson romanesque est une méditation de funambule, au-dessus d’un fil fragile, sur ce qui pourrait être dit au père famélique. Un geste et sa négation, avancée et recul. Dans quel sens, au fond, Noé marche-t-il ? S’en va-t-il, essayant depuis toujours de partir, ou n’en finit-il pas d’arriver, de revenir ?
Car comment vivre dans l’orbite d’un astre mort ? Noé sait que les lieux qu’il s’apprête à retrouver – la « Demeure » du père, « enfilade de pièces vides » sur les hauteurs, cernée par une forêt « impénétrable et broussailleuse », la hutte construite avec Jérémie au bord d’une rivière pour fabriquer une vie loin du père, le « sous-bois gorgé d’humus » – ne seront plus jamais les mêmes : celui qui en constituait le cœur pour lui n’est plus. La maison, elle, a été amputée de la forêt, vendue à des promoteurs. Si la route qui y mène est la même, il faut inventer un nouveau cheminement. Alors, il pose des questions, supplie son père de se souvenir avec lui. De partager une partie du voyage.
Avant de mourir pour sa forêt, Jérémie avait décidé de rester auprès du père, et la relation gémellaire s’était déplacée. Intrépide quand Noé avait peur de tout, il était le fils préféré. Alors Noé marche, avalé par cette question : son père aurait-il préféré que ce soit lui qui meure ? Est-il, lui, Noé, un faux vivant ? La mécanique de l’absence a interverti ses rouages : maintenant que celui à la présence duquel il s’abreuvait pour recracher le père s’est dissous dans les limbes, il lui faut faire entrer dans le cercle celui qu’il a passé sa vie à éloigner.
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